Tribune libre: « Ombres chinoises » 2 onde partie




Le premier chapitre, à lire ou re-lire ici évoquait l'actualité et "Les tribulations d’un Chinois en Europe".
Pour cette livraison, merci Jean, il sera question de nos "Droits de l'Homme" et de la culture chinoise. Accrochez-vous, et à vos remarques et commentaires.


B) Keskidi ?

Donc, entre poire et fromage, notre Président-Rédempteur-des-Retraites aurait courtoisement entretenu le détenteur du Mandat Céleste du grave problème des Droits de l’Homme. De notoriété publique, c’est un sujet récurrent qui agace prodigieusement les Chinois. Parce qu’ils ne comprennent absolument pas ce dont les Gwai Loh (les Longs Nez) entendent par là.

Petit rappel historique pour bien comprendre ce dont il s’agit :

les Droits de l’Homme et leurs cousins éloignés, les Bill of Rights anglais et américain, sont nés au XVIIIe siècle. Enfin, non, pas nés, mais ils ont été proclamés à ce moment-là.

clairement, ces proclamations sont dues au Tiers Etat, les classes moyennes des sociétés du temps. Les Droits de l’Homme sont inséparables de la présence de classes moyennes ayant voix au chapitre. Les classes moyennes n’ont pas encore voix au chapitre en Chine, tout simplement parce qu’elles n’y existaient plus depuis 1949. C’est aussi simple que cela. Et c’est d’autant plus compliqué que les marchands étaient dans la Chine classique la « basse classe », venant après les paysans.

La culture chinoise est fondée sur deux axes principaux :

A.La Paix.
La Chine n’a jamais souhaité s’étendre physiquement au-delà de ses frontières naturelles. Tout dépend, évidemment de ce que l’on entend par « naturelles ». Les Han (« Chinois  ethniques ») ont quand même absorbé quelques peuples minoritaires et occupé le Vietnam pendant près de mille ans. D’autant que le territoire considéré est très vaste. Donc paix en politique étrangère. Et Paix à l’intérieur. Il faut dire que la période « Printemps et Automnes » puis celle des « Royaumes Combattants » furent le théâtre de guerres féodales meurtrières s’étendant sur plusieurs siècles. L’avènement de Qin Che Huangdi (« Auguste Premier Empereur ») mit un terme provisoire à ces catastrophes. Le maintien de cette paix civile était un élément important pour les Empereurs, qui prouvaient par là, avec l’absence de calamités, qu’ils avaient toujours « mandat du Ciel » pour régner.

B.L’Harmonie.
C’est la base de la doctrine confucéenne, que l’Honorable Maître Kong (Kong Foutse, ce sont les Jésuites Portugais qui ont orthographié « Confucius ») qualifie de « vertu ». L’homme vertueux protège l’Harmonie. Celui qui la perturbe est un bandit ; celui qui la détruit un criminel contre l’humanité.

Ah ! Là nous sommes en terrain un peu mieux connu : chez nous, celui qui détruit l’harmonie en ce moment c’est « le terroriste ». Vous commencez à saisir ?

Un des slogans favoris du Guo Mindang (le Parti de Sun Yat Sen qui proclama la République en 1911, parti des classes moyennes chinoises) était « Gung Ho », adopté par les Tigres Volants. Loin d’être un cri de guerre, Gung Ho veut dire « Travaillez à l’Harmonie ! ». Toujours le même axe, multimillénaire. On efface difficilement ce genre d’empreinte dans le cerveau des hommes. Un proverbe chinois dit « Le clou qui dépasse, tape lui sur la tête »… afin de l’aligner avec les autres. C’est un trait caractéristique des cultures asiatiques que la collectivité y prenne le pas sur l’individu.

Ces deux traits de la culture chinoise ont façonné au fil des siècles une culture si puissante qu’à l’instar de Rome, les Barbares qui ont régulièrement envahi l’Empire du Milieu au cours des siècles, Huns, Mongols, Tartares, Mandchous, se sont sinisés comme chez nous les Barbares Germaniques se sont romanisés.

La primauté du collectif sur l’individuel recèle une menace : l’immobilisme. Et effectivement, la Chine a connu de longues périodes de conservatisme. Mais cette menace permanente ne condamne nullement la société chinoise à la stagnation. Le changement se fait par consensus, généralement au sein de la classe la plus extraordinaire d’une société humaine ait jamais produit : les Mandarins. Ce sont des fonctionnaires recrutés selon la seule méthode vraiment méritocratique que le monde ait connu : un examen ouvert à tous. Ce sont vraisemblablement ces Mandarins qui réussirent le tour de force unique de créer une écriture unique pour les quelques vingt langues régionales de Chine. Ces langues sont très différentes entre elles ; à l’instar de l’allemand et de l’italien ou du français. On ne se comprend pas en Chine de province à province. Le vernaculaire est le langage « mandarin », analogue à notre latin médiéval. Mais les idéogrammes ont le même sens dans toutes les langues chinoises. Les Chinois peuvent se « lire » de province à province. Et c’est pour eux l’essentiel. Le langage mandarin et l’écriture commune ont façonné l’oïkouménê Han parmi les Chinois, et leur ont assuré la primauté sur les autres peuples vivant sur le territoire de la Chine.

Une Histoire tumultueuse, une culture unificatrice axée sur la stabilité et l’harmonie, le primat du groupe sur l’individu, la culture Chinoise est diamétralement opposée à la nôtre.

Certes les droits de l’homme (en minuscules) existent et sont reconnus, pour autant qu’ils ne viennent pas semer le désordre au sein de la collectivité. Les révoltes existent et ont existé, mais elles sont exceptionnelles, et – toujours le consensus – ce sont des révoltes massives : les Taïping du XIXe siècle ont compté jusqu’à vingt millions d’adeptes ; un peu plus tard les Boxers connurent des effectifs semblables. Cela fit chaque fois vingt millions de morts : le châtiment de ceux qui avaient troublé l’Harmonie Han, et de surcroît accepté de tous…

L’épisode de Tian An Men est « une vaguelette », même si je déplore les victimes de la répression. De surcroît c’était une révolte « d’apprentis mandarins » dans une période où visiblement les « mandarins rouges » perdaient un peu de leurs pouvoirs. Le mélange était explosif.

A ce sujet, l’ignorance crasse des commentateurs est apparue en pleine lumière. Les premières troupes envoyées sur place étaient la garnison de Beijing : des «autochtones » parlant le Pékinois, que les étudiants convainquirent sans mal de leurs intentions pacifiques. Le Politburo les retira et fit venir des troupes d’autres régions ; qui ne comprenaient pas le Pékinois, et sans doute très mal le mandarin ; que les étudiants ne purent haranguer ; et qui exécutèrent les ordres. On connaît la suite.

Reste encore l’idéologie maïoiste, un dérivé du communisme soviétique où la primauté du collectif sur l’individuel est portée à un ordre de grandeur supérieur. Que voulez-vous que Hu Jintao et son staff comprennent des émois occidentaux, surtout lorsqu’ils concernent des Chinois troublant l’Harmonie de l’oïkoumêné ? Allez donc parler d’un nuancier de couleurs à un aveugle de naissance…


A suivre
Jean Huck- 2/3




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