Macaire Dagry: "Le président A. Ouattara peut-t-il éviter le piège de la dictature qu’impose le régime présidentiel ?"



Le monde bouge, vite, même pendant mes vacances. C'est donc avec un peu de retard que je publie ici une nouvelle tribune de Macaire Dagry. Toujours cette idée de recherche de l'idée de Démocratie.
Son titre vous surprend ? Lisez ce propos, encore une fois parfaitement éclairée et non-partisan.


Le président A. Ouattara peut-t-il éviter le piège de la dictature qu’impose le régime présidentiel ?

Certes, il est sans doute encore trop tôt pour répondre à cette question et peut-être même pour la poser. Cependant, elle demeure fondamentale dans l’esprit de tous les ivoiriens et du monde entier qui ont les yeux rivés sur ce président élu dont la seule évocation du nom suscite diverses réactions antagonistes et passionnées, et parfois même irrationnelles. Depuis plus quinze ans, avec la création du concept « d’ivoirité » pour l’écarter du pouvoir, toute la vie politique ivoirienne s’est cristallisée et s’est faite autour de sa personne. Pour chacun d’entre nous, les chefs d’Etat africains sont par définition des dictateur, au grand étonnement de ces derniers.

Pour certains, le nouveau président démocratiquement élu ne fera pas mieux que ces prédécesseurs à l’exception du « Vieux ». Raison évoquée, il serait le président de « l’étranger » selon ses adversaires politiques. C’est-à-dire de la France et de la communauté internationale qui ont reconnu sa victoire. Pour les autres, cet ancien gouverneur de la BECEAO et ancien directeur général adjoint du FMI, qui a piloté personnellement les sorties de crises économiques de plusieurs pays d’Asie du Sud-Est ainsi que leur développement fulgurant, a toutes les compétences pour aider son pays à se développer et créer de la richesse et des emplois. Pour ces derniers, en 5 ans, il fera sûrement mieux que ses trois prédécesseurs dont toute leur politique tournait autour de lui. Le nouveau président ivoirien le sait, il est attendu de pied ferme par tous ceux qui l’ont combattu depuis près de quinze ans. Sa moindre faute, sa moindre erreur politique ou stratégique soulèvera de vives critiques au « lance flammes ». Il sait qu’il joue une partie très serrée pour asseoir de manière définitive sa légitimité acquise par les urnes et fortement contestée par ses adversaires politiques, qui le considèrent à tort ou à raison comme l’homme de la France. Aujourd’hui, ces mêmes « fossoyeurs » de la détresse et du chaos ivoirien, défilent à l’hôtel du Golf pour lui faire allégeance, avec un « poignard » caché dans le dos. La palme d’or revient au président du conseil constitutionnel, dont l’inconscience de son acte politique partisan aura des conséquences dramatiques sur plusieurs générations d’ivoiriens. C’est dire à quel point ce président démocratiquement élu subit une pression terrible avant même de commencer à exercer pleinement son pouvoir. Dans une logique de rassemblement, il s’est entouré de multiples conseillers et collaborateurs qui pour beaucoup d’entre eux sont issus du « système » et ont participé d’une manière ou d’une autre aux différents pouvoirs corrompus en place depuis des décennies. Le défi s’annonce donc difficile, mais pas impossible. De surcroît, dans l’esprit du « Vivre Ensemble » prôné par son parti, le RDR, et de la réconciliation nationale, il est contraint de composer avec les cadres du FPI de Gbagbo dont il n’existe pas encore de mots assez forts pour exprimer le degré de corruption. Lorsque les ivoiriens voient à la télévision Laurent Dona Fologo, président du conseil économique et social sous Gbagbo, et plusieurs fois ministre sous le « Vieux » et Bédié, venir faire aussi allégeance au nouveau président, les mots manquent pour décrire leur dégoût. A lui tout seul, il symbolise ce « système » de clientélisme qui caractérise tant « nos dirigeants » africains. C’est-à-dire, le manque de conviction politique réelle, une moralité douteuse, prêts à changer de camp politique à tout moment pour ne pas perdre des privilèges mal acquis, ou qui ne pensent qu’à eux et non au peuple, continuant à s’enrichir personnellement même en pactisant avec leurs pires ennemis d’hier. Comme beaucoup d’autres, ces grands « Prédateurs » des deniers publics tentent une fois encore de se positionner au sein du nouveau pouvoir. Entre 1990 et 1993, lorsque le président Ouattara était Premier Ministre du « Vieux », avec courage et fermeté il a essayé de combattre la corruption, les déficits abyssaux de l’Etat et a affronté les colères des barons du PDCI qui voyaient leurs avantages menacés par ce technocrate qui ne faisait pas encore partie du sérail. Aujourd’hui au pouvoir, avec toujours ces mêmes barons comme alliés au sein du RHDP, pourra-t-il changer le système et le faire évoluer ? Arrivera-t-il à éviter le piège de la tentation du pouvoir absolu, imposé par le régime présidentiel dont sont victimes tous les chefs d’états africains qui arrivent au pouvoir avec de nobles sentiments ? Ce fut le cas par exemple de Laurent Gbagbo lorsqu’il était dans l’opposition. Nous y avons tous cru jusqu’à son accession à la tête de l’Etat.
La suite est hélas connue.

Les mécanismes de construction d’une dictature

Depuis nos « indépendances » offertes sur un plateau d’argent par les ex-puissances coloniales, tous les états africains jusqu’à ce jour sont des dictatures à l’exception peut-être du Ghana et de l’Afrique du Sud (ce qui n’est pas encore démontré, vu l’importance de la corruption y compris au sein de la famille Zuma). Dans ces dictatures, tous les pouvoirs sont détenus par le chef de l’Etat, ou au mieux par un clan ou un groupe limité de fidèles. Qu’il soit élu ou arrivé au pouvoir par un coup d’état militaire ou de manière « calamiteuse » lors d’élection folklorique, le régime politique reste le même, c’est-à-dire arbitraire, absolu et sans contre-pouvoir. Voyons à présent les mécanismes structurels qui favorisent l’émergence des dictatures dans nos pays.

Le régime Présidentiel

Tous les étudiants de première année de droit le savent bien, ce régime favorise de fait la construction d’une dictature. Dans tous les pays du monde où ce régime est en vigueur, la dictature s’est confortablement installée au mépris de la démocratie et des libertés individuelles et collectives. La seule exception à ce jour reste les Etats-Unis d’Amérique à notre connaissance. Selon les fondements du régime présidentiel réglementé par la constitution, une séparation stricte des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires doit permettre un équilibre des rapports de forces. L’exécutif qui est détenu par le chef de l’Etat, élu au suffrage universel, et qui nomme le gouvernement, devrait être contrôlé par le parlement. Le pouvoir judiciaire devrait être indépendant pour pouvoir arbitrer les conflits et autres rapports de force entre le pouvoir exécutif et législatif. Ce qui n’est pas le cas dans nos dictatures africaines. Le chef d’état règne de manière absolue sur toutes les institutions du pays qui sont à son service. Cette réalité pose de fait la question de la pertinence de ce régime avec toutes les dérives que nous savons. Enfin, l’interprétation abusive de ce régime présidentiel en pouvoir personnel et à vie favorise de fait la convoitise. Celle-ci se matérialise par des coups d’états à répétition parce qu’il n’existe pas d’institutions fortes et suffisamment d’hommes honnêtes et intègres pour les incarner et les servir loyalement dans l’intérêt du peuple.

Les institutions autonomes et fortes

Dans son discours du 7 avril dernier, le président élu de Côte d’Ivoire a cité le président Obama lors de son fameux discours d’Accra, qui espère pour l’Afrique, « des institutions fortes et non des hommes forts au pouvoir ». Il s’est donc engagé à faire en sorte de renforcer le pouvoir des institutions du pays au regard de la constitution, afin que la Côte d’Ivoire s’inscrive enfin dans une réelle démocratie. Jusqu’à présent, partout sur le continent (même dans les autres dictatures), l’exécutif ne subit aucun contrôle ni du parlement, ni d’une quelconque institution chargée de vérifier les comptes publics (si elle existe déjà, c’est un miracle), ni du conseil constitutionnel dont la mission est de vérifier la conformité des lois au regard de la constitution. Rien de tout cela n’existe. Seule la volonté du chef de l’état compte et « mort » à celui qui osera s’opposer ou appliquer le respect des lois ou la séparation des pouvoirs. Après Dieu, c’est lui le maître tout puissant dans le pays. Le nouveau président ivoirien parviendra-t-il par exemple à nommer une personnalité compétente et indépendante des partis politiques à la tête du conseil constitutionnel, afin d’éviter à l’avenir ce psychodrame macabre que nous venons de vivre ? Sera-t-il en mesure de résister à la pression de ses conseillers en nommant des personnalités de la société civile à la tête d’institutions fortes chargées de vérifier et de veiller aux comptes et dépenses publics ? Mieux encore, le président pourrait demander une révision de la constitution afin de faire élire au suffrage direct ou indirect les présidents de ces institutions. Cela aurait pour avantage de les rendre responsables devant le peuple, ce dernier pouvant leur demander des comptes par l’intermédiaire de son propre représentant, le parlement. Cela permettrait de fait de renforcer le pouvoir du parlement et même de le rendre co-législateur à travers des propositions de lois.

Lors de la campagne électorale présidentielle, le candidat Alassane Ouattara s’est engagé à renforcer le rôle du parlement. Est-ce dans l’esprit de la séparation des pouvoirs ? L’avenir nous le dira. Nous avons donc 5 ans pour tirer les enseignements de cet engagement de campagne. Même si l’exécutif n’est pas responsable devant le parlement comme c’est le cas dans le régime parlementaire, le fait que la séparation des pouvoirs se fasse clairement et fortement peut permettre aux représentants du peuple d’éviter la toute-puissance de nos chefs d’états africains qui finissent par croire qu’ils sont les « envoyés » de Dieu, dans des délires parfois pathologiques ou démagogiques. Gbagbo avait même cru que Dieu en personne l’avait désigné pour « sauver son pays et l’Afrique toute entière, en les décolonisant enfin et réellement ».

Renforcer les droits et le pouvoir de l’opposition

Un pouvoir sans opposition est une dictature. Et ça le nouveau président le sait. Arrivera-t-il à convaincre certains de ses conseillers et autres supporters qui souhaitent la disparition définitive du FPI dans le paysage politique ivoirien ? Il sait que cela fragiliserait l’Etat démocratique qu’il veut mettre en place. Une opposition forte et responsable est un signe de bonne santé d’une démocratie. Le président a même tout intérêt à favoriser sa restructuration et lui donner toute sa place dans le jeu démocratique afin que son pouvoir soit crédible.

L’indépendance des médias

Un autre enjeu majeur auquel sera confronté le nouveau président ivoirien, sera celui de l’indépendance des médias et leurs sens des responsabilités. Il est évident que les médias ivoiriens et africains en général contribuent à la propagande du pouvoir en place après avoir effectué le même « cirque » avec le précédent. Dans le cas de la Côte d’ivoire, depuis la naissance de « l’ivoirité », les différents médias d’Etat se sont livrés à une véritable chasse aux sorcières de manière pitoyable. C’était à croire que celui qui écrivait le plus d’âneries sur l’ennemi du pouvoir en place pouvait espérer une promotion. De ce fait, les journaux proches de l’opposition sont rentrés eux aussi dans cette « danse funeste et nauséabonde » pour défendre leur leader. Cela a donc eu pour effet la création d’un clivage net des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs en fonction de leur appartenance politique, religieuse ou ethnique. Chaque camp lit les journaux proches de son mentor et dénigre systématiquement les autres informations sans même savoir leurs contenus. Résultat, l’ensemble des médias du pays se trouve disqualifié. Là encore, le président élu arrivera-t-il à résister à la tentation de faire comme ses prédécesseurs ou au contraire, va-t-il enfin à faire des médias un outil indispensable à l’émergence de la démocratie dans son pays ? Arrivera-t-il à rendre cette « institution » au pouvoir considérable sur les populations plus responsable, républicaine et crédible ?

Le phénomène religieux et ethnique

Après la Côte d’Ivoire où la forte présence du phénomène religieux dans l’espace politique et public a considérablement contribué au pourrissement des relations entre les populations, c’est au tour du Nigéria de basculer dans ces considérations suicidaires. Là encore, l’absence d’institutions fortes et d’hommes intègres favorise cet obscurantisme des esprits, manipulés par des démagogues qui s’en servent comme stratégies politiques pour accéder ou conserver le pouvoir. Le chômage, la pauvreté, le manque d’éducation, les incertitudes de la vie, le taux de mortalité dû à une absence de politique sanitaire et sociale, etc, entraînent de plus en plus les peuples africains à se réfugier dans la foi, la prière, espérant de Dieu le miracle pour apporter des solutions à ces réalités douloureuses. Or ce n’est pas à Dieu de réagir, mais aux dirigeants que nous avons désignés. C’était le cas de L. Gbagbo, qui a exploité cette opportunité qui s’offrait à lui pour élargir sa base électorale sans vraiment croire à ces délires malgré la forte pression que lui mettait son épouse. Le nouveau président ivoirien le sait, le phénomène religieux, voire même ethnique dans nos pays africains est une grande « zone d’ombre  et d’incertitude » qui peut être incontrôlable et très dangereuse pour l’équilibre social. Il sait aussi qu’il doit faire en sorte que le pays qu’il va diriger pendant 5 ans, s’inscrive enfin dans une forme de laïcité à l’ivoirienne dans le respect de chaque pratique religieuse. Aura-t-il suffisamment de courage et de détermination pour affronter les très puissants groupes religieux qui prospèrent et s’enrichissent sur le désespoir des populations ? Pourra-t-il construire des institutions fortes avec des hommes ayant pris l’habitude et le goût de l’enrichissement personnel et de la corruption de manière ostentatoire ? Peut-il instaurer une république dans laquelle les croyances religieuses devront rester du domaine du privé sans heurter la foi et les sensibilités des uns et des autres ? Malgré sa bonne foi et sa volonté de changer la société ivoirienne afin de la rendre prospère économiquement et unie socialement et humainement, ne sera-t-il pas lui aussi confronté aux résistances, voire à l’hostilité des autres acteurs du « système » qui ont favorisé son élection et sa prise de pouvoir effective ? La tâche s’annonce très difficile pour lui malgré le fort soutien des ivoiriens. Il a 5 ans pour faire mieux que ces prédécesseurs et montrer qu’avec de la volonté, de la détermination, le don de soi et l’amour pour son pays, on peut y arriver.

Macaire Dagry

26 Avril 2011

macairedagry@yahoo.fr


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