Côte d'Ivoire: point sur la situation et analyse de Macaire Dagry



La situation en Côte d'Ivoire est très préoccupante. Face à un Président démocratiquement élu et pratiquant le droit, espérant l'application des règles de droit et de justice internationales, un Président sortant coupe les voies de communication, terrestres comme numériques ou hertzienne, arme des milices et se rit de l'ONU. ONU dont il a même fait harceler les fonctionnaires en pleine nuit.
Alors que certaines informations paraissent contradictoires, des moyens de pression sont mis en œuvre depuis des semaines : gel des avoirs des proches de Gbabo, intervention des forces de la coordination des pays de l'Afrique de l'Ouest, menaces de traduction devant la Cour Pénale Internationale...
Enfin, la France accusée de "comploter" joue son rôle de grande nation qui défend la démocratie. Elle vient de bloquer l'avion de Gbagbo, en escale technique sur un aéroport franco-Suisse.Parce que je crois toujours que le regard de l'opinion publique internationale joue un rôle, j'occupe un peu de la grande toile puisque Gbagbo tente de couper les vecteurs d'expression.

Là, "Jeune Afrique" fait le point sur "la sanglante répression dont sont victimes les militants du président élu Alassane Ouattara."



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Analyse d’une crise systémique dans laquelle L. Gbagbo semble enfin exister et être reconnu

L. Gbagbo qui semble formaté et conditionné psychologiquement pour conquérir le pouvoir a acquis une expérience redoutable en la matière. Plusieurs observateurs et journalistes africains et internationaux le considèrent comme « un fauve politique, un prédateur né pour le combat et la conquête du pouvoir ». Cela semble une fois encore se vérifier. Pour nous, L. Gbagbo est un joueur d’échec audacieux et téméraire qui n’a aucune limite morale et éthique. Il pousse ses pions et attend la réaction des autres acteurs qu’il défie en permanence. S’il n’y a pas de réponse à la hauteur de sa provocation, il continue. Dans le cas contraire, il change de stratégie, mais ne capitule jamais. Même quand on le croit affaibli et fini, il a toujours une ruse prévue. C’est un véritable opportuniste politique qui ne parle que le langage de la force et de l’affrontement frontal. En s’autoproclamant président en dépit de la nette victoire de son adversaire lors de cette élection présidentielle, il attendait avec délectation et jubilation de multiples réactions de protestations du RHDP et peut être de la communauté internationale. Les réactions unanimes de la quasi-totalité de la communauté internationale lui demandant de reconnaître sa défaite et de céder la place au Président Ouattara, élu régulièrement et reconnu par toutes les instances internationales ont réveillé de fait son instinct carnassier et guerrier. Les seules réactions qui ont semblé le déstabiliser un instant semblent être les positions très fermes des dirigeants africains, de l’Union africaine, de la CEDEAO ainsi que des autres institutions politiques, économiques, financières et sociales africaines. Toutes ces pressions internationales lui donnent enfin un puissant sentiment d’existence et de reconnaissance politique internationale. Sa première sortie publique télévisée a été une fois encore pour défier par la ruse les principaux acteurs de cette situation bloquée. Comment comprendre les enjeux et les positionnements des uns et des autres face à ce rapport de force suicidaire dont raffole le Boulanger pour exister politiquement ?

Le Camp Gbagbo

Entraîné dans la folie mégalomaniaque et autodestructrice de leur chef, le clan Gbagbo, chauffé à blanc par Simone Gbagbo, appelée la dame de sang, serre les rangs derrière le chef. Mêmes conscients des très faibles marges de manœuvre de leur « Guerrier » face à la pression intense de la communauté internationale, le clan qui se sent redevable joue le jeu de la fidélité tout en recherchant des solutions pour sauvegarder leurs acquis. Après avoir mis à l’abri femmes et enfants à l’étranger, notamment en Europe, les caciques du clan ont vite transféré leur « Magot » hors de l’Europe, en l’occurrence au Liban ainsi que dans certains paradis fiscaux. Quant à L. Gbagbo, influencé par ses études d’histoire et celles des grands personnages qui ont marqué l’histoire de leur pays ou du monde, il s’est toujours imaginé rentrer aussi dans la grande histoire de son pays et du continent africain. Son rêve, être le « véritable libérateur de l’Afrique » face à la domination occidentale. Comme tous les bétés de sa génération, il a été marqué également par le combat mené par Kragbé Gnabé, dont il s’est toujours considéré comme un digne successeur.

Gbagbo a bâti sa stratégie de défiance et de résistance sur une analyse simple. Il part du principe que le conseil de sécurité de l’ONU a été incapable de venir à bout de président du Zimbabwé, de la junte birmane, du régime iranien etc en dépit de nombreuses pressions internationales. Il a cependant oublié que la communauté internationale a fini par avoir raison de Saddam Hussein, comme elle finira par le faire tomber. Aujourd’hui Gbagbo se sent menacé et tente des ouvertures. Ses propres Barons qui figurent sur la liste des personnes indésirables en Europe commencent à douter et à fléchir. Ils savent que la cour pénale internationale peut les inquiéter de même que les USA peuvent également leur interdire l’entrée sur leur territoire. Pour accentuer la pression, l’Union Africaine peut également prendre les mêmes résolutions. Si cela se produisait, ils pourraient avoir des choix très limités d’exil en cas de besoin, notamment pour mettre leurs progénitures et leurs épouses ou époux en lieu sûr. Pour rassurer ces partisans angoissés, donner à sa base de quoi alimenter des débats sur la bonne foi de leur usurpateur de président, il demande une enquête internationale sur la situation en Côte d’Ivoire en affirmant d’emblée dans une provocation dont il est coutumier, qu’il est le président du pays. Ce roi du double langage vient une fois encore de rouler ses propres barons dans la farine. Au lieu de les rassurer, il les inquiète davantage en bloquant toute discussion possible. Il espère repartir à nouveau dans de multiples négociations interminables en s’imposant par la force à la tête de l’Etat.

Dans ses stratégies pour conserver le pouvoir à tous les prix, Gbagbo a fait une erreur d’appréciation. En octroyant des marchés très importants aux groupes français, il espérait avoir la France dans sa poche. Malheureusement pour lui, les pays occidentaux n’avaient pas oublié les évènements de 2004. Ainsi, Bolloré a le monopole sur les activités des conteneurs des ports du pays ainsi que la compagnie de chemin de fer. Bouygues gère l’eau, l’électricité et la construction du fameux troisième pont d’Abidjan. Il a confié sa campagne électorale à Euro-RSCG après avoir demandé à la Sofres de s’occuper des études des sondages. Total a été choisi pour l’exploitation du pétrole et Véolia pour assainir l’eau dans le pays. En homme politique averti, il a aussi pensé à faire plaisir aux Etats-Unis. Il a ainsi donné des marchés aux groupes américains Cargill et ADM qui sont d’importants négociants du cacao. Le soutien de ces deux pays qui ont entraîné avec eux toute la communauté internationale l’a ainsi déstabilisé et poussé à commettre des fautes fatales.

La communauté internationale

Malgré son unanimité ainsi que sa fermeté assez rare en matière diplomatique contre l’usurpation du pouvoir par Gbagbo, elle donne encore des signes de faiblesses et crée des zones d’incertitudes que le boulanger ne se fait pas prier pour exploiter à son avantage. Il donne ainsi à sa base et à son clan les signes d’une résistance et d’une défiance qui peut séduire des va-t-en-guerre qui n’ont rien à perdre ou sont très perméables à la manipulation politique de leur chef. Les Nations Unis à Abidjan semblent se faire terroriser par lui sans réelle réaction à la mesure de la provocation. Comment on peut comprendre que le représentant du Secrétaire Général de l’ONU peut se faire bloquer dans son véhicule blindé par les policiers de Gbagbo pendant plus d’une heure sur une route, alors qu’il est escorté par des hommes en armes ? Comment peut-on comprendre que le bâtiment des agents de l’ONUCI puisse être mitraillé et leurs agents sommés de quitter le pays, sans aucune réaction ? Comment expliquer la destruction et les vols de matériels et véhicules des agents de l’ONUCI sans aucune réaction ? Comment expliquer qu’un simple soldat ivoirien armé d’un fusil arrive à faire faire demi-tour à un convoi de l’ONUCI ou les empêcher d’accéder à l’hôtel du Golf ? À deux reprises ces agents de l’ONUCI ont été empêchés d’aller vérifier des endroits décrits comme des charniers et gardés par des hommes en armes. Tout cela est incompréhensible pour les ivoiriens qui espèrent. L’union européenne vient de prendre des mesures interdisant l’accès à leur territoire de dix-huit proches de Gbagbo qui en rient encore. Une menace de gel de leurs avoirs est envisagée, mais n’est pas encore mise en application. Toutes ces mesures ressemblent à des faiblesses et des doutes qui finissent par créer des incertitudes. En opportuniste aguerri, Gbagbo les exploite à son avantage. Tout cela amuse Gbagbo et sa base. La plupart des menaces à l’encontre de ce régime sont le plus souvent au conditionnel. Ceci n’est pas fait pour rassurer, mais au contraire pour troubler davantage la lecture des messages envoyés par la communauté internationale. Gbagbo ne connaît que le rapport de force physique et brutal. Tout le reste l’ennui et l’amuse. Depuis 2004, la cour pénale internationale s’intéresse de « très près » à la situation ivoirienne et aux multiples exactions commises. Ce jeudi 23 décembre, le conseil des droits de l’Homme de l’ONU vient de prendre une résolution « qui constate qu’entre le 16 et le 21 décembre, il y a eu 173 morts et, des blessés et des personnes portées disparues ». Ce conseil « appelle les deux parties à la retenue ». Elle « pourrait » engager des poursuites. Si ces poursuites sont comme celles qui sont émises contre Hussein Habré, le dictateur Tchadien qui se balade librement à Dakar, nous n’avons pas encore fini de voir tuer nos frères par ces Chiens de Guerre, sans craintes de quoi que ce soit pour Gbagbo et son clan. Les véritables forces qui peuvent inquiéter L. Gbagbo qui se considère comme « le véritable libérateur des Africains contre l’occident », c’est l’Union Africaine et la CEDEAO. Même si toutes les institutions africaines reconnaissent de manière unanime le président Ouattara comme le président élu, elles sont elles aussi enfermées dans des discours de condamnation diplomatique. La perspective de l’envoi d’une force armée Ouest Africaine pour déloger l’ancien chef d’Etat semble enfin commencer à porter ses fruits. L. Gbagbo sort enfin de son long silence pour demander une médiation internationale.

Le camp Alassane Ouattara

Fort du soutien et de la reconnaissance de la communauté internationale, le Président élu et son camp ont tout intérêt à laisser L. Gbagbo aller de fautes en fautes de manière à révéler au monde entier son avidité pathologique du pouvoir. Mieux encore, le camp du président élu adoptant des attitudes de démocrate face à la barbarie meurtrière du camp Gbagbo renforce ainsi sa légitimité internationale d’une part. D’autre part, cette position de patience et de légitimité reconnue par l’ONU et la communauté internationale oblige de fait toutes ces instances internationales à prendre des positions de fermeté et affronter le Boulanger à la place du chef d’Etat élu. Maintenant, il faudrait que le président élu trouve les moyens de passer à la phase offensive pour le déloger par la force. Au regard de l’impossibilité des forces nouvelles de combattre les hommes de Gbagbo lors de la dernière marche du RHDP qui s’est soldée par plusieurs morts, le président ADO doit réagir et peut espérer sur l’envoi de forces armées africaines pour combattre les Chiens de Guerre de Gbagbo et le faire partir.

Dans ce rapport de force engagé par Gbagbo contre la communauté internationale pour exister politiquement, celle-ci joue sa crédibilité si elle échoue. De ce fait, la communauté internationale et notamment les pays africains qui n’ont pas envie que la situation ivoirienne fasse jurisprudence un jour dans leur pays, ont tout intérêt à tout mettre en œuvre pour rétablir la légalité et le droit. Faute de quoi, le risque de voir se reproduire ce genre de situation dans un autre pays africain est grand. L’ONU et toutes les autres institutions ainsi que tous les autres acteurs principaux de cette crise ivoirienne post-électorale savent que la défiance de Gbagbo pour se positionner en héros ou martyr les obligent à prendre des décisions capitales qui auront une incidence majeure dans l’histoire de la Côte d’ivoire et de l’Afrique. Ces décisions seront aussi observées et étudiées minutieusement par tous les autres dictateurs de la planète. Si Gbagbo trouve dans ce bras de fer avec la communauté internationale le moyen d’exister et d’être enfin reconnu politiquement en espérant rentrer dans l’Histoire de son pays, il met de fait cette communauté face à ses responsabilités et ses limites diplomatiques qui ont été très souvent critiquées. On se souvient encore du Rwanda, du Kosovo et autres souvenirs tragiques où l’ONU a brillé par sa lenteur, voire-même par son impuissance.

''Macaire DAGRY 24 décembre 2010''

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