Ministère de l’Immigration et de l’identité …. Nationaliste ?

Un billet d'humeur de Aziz Senni, avec son aimable autorisation, illustré d'une photographie (de votre serviteur) prise lors d'une exeptionnelle conférence du Centre des Jeunes Dirigeants à l'Edhec, Nice, "La diversité, une richesse pour entreprendre"





Ministère de l’Immigration et de l’identité …. Nationaliste ?

Sur le rapprochement des mots « immigration » et « identité »

L’association des deux termes recouvre une métaphore implicitement organiciste : la France comme un corps sain, dont l’unité est préconstituée. Le flux migratoire s’apparente alors à un mouvement d’agression (tensions identitaires) ou de perturbation (remise en cause de valeurs présumées ancestrales) de l’organisme national.
Dans les années 70, les penseurs de la Nouvelle Droite, comme Alain de Benoist, bientôt relayés par le club de l’Horloge, cherchèrent à placer le thème de l’identité au cœur du débat public, en réduisant la singularité française à une acception ethnicisée. Ayant bénéficié des faveurs du Figaro magazine, alors dirigé par Louis Pauwels, leurs idées trouvèrent un écho auprès des dirigeants d’une droite confrontée à la progression électorale du Front national, à partir de 1983.
La métaphore organiciste est très caractéristique de l’extrême droite réactionnaire et identitaire. La citadelle identitaire, ou « corps » du pays, est pensée comme un « tout » inaliénable et non réductible. C’est l’époque où Michel Poniatowski, ancien ministre de l’Intérieur peut reconnaître de la valeur à certaines des idées de Jean-Marie Le Pen.
La droite modérée du début des années 90, comme Nicolas Sarkozy aujourd’hui, pensait séduire les électeurs de l’extrême- droite en en utilisant les images, le vocabulaire ou le ton.

Sur le rapport à l’immigration des Français
Selon la démographe Michèle Tibalat, près d’un Français sur quatre a au moins un grand- parent immigré. Cette situation suffit à faire de la France un des pays les plus « brassés » d’Europe. Plus que d’une « intrusion massive », on peut parler, selon François Héran, un autre démographe, d’une « infusion durable » : les flux d’immigration se sont maintenus à un niveau substantiel et constant depuis le milieu du XIXe siècle en France, si on excepte la crise des années 30.
La réalité d’une immigration –au sens des entrées su le territoire français- modérée mais stable ne correspond pourtant pas à la perception qu’en reconnaît une majorité de Français. L’Enquête sociale européenne a sondé en 2003 les opinions publiques de toute l’Europe au sujet de l’immigration : les Français interrogés surévaluaient de près de 300% le pourcentage total d’immigrés dans la population française (29% contre 10%). Cette distorsion s’avérait plus marquante dans notre pays que chez nos voisins allemands ou suisses, qui accueillent proportionnellement plus d’immigrés, mais évaluent beaucoup mieux la réalité des flux concernés.

Sur l’identité de la France
Fernand Braudel, historien du temps long et de la Méditerranée à l’âge moderne, consacra plusieurs années de sa vie à préparer un livre intitulé L’identité de la France. Pour lui, cette notion d’identité ne pouvait renvoyer qu’à des notions géographiques (la France comme espace), philosophiques (la France comme ensemble de valeurs) ou historiques (la France comme patrimoine et comme récit). L’espace français se caractérise par sa diversité ; le récit national alterne phases de grandeur (le siècle des Lumières) et de repli, voire de honte (la défaite de 1940 et le régime de Vichy).
Si identité française il y a, elle se noue donc essentiellement autour de valeurs : depuis la Révolution, c’est l’héritage des Lumières, l’idéal républicain et le triptyque « liberté, égalité, fraternité » qui permettent la cohésion national.
Le 9 mars dernier, Nicolas Sarkozy a cherché à justifier sa proposition de créer un Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, en précisant son « idée de la France ». Ce faisant, le Ministre de l’Intérieur semblait plus utiliser les valeurs républicaines comme des motifs d’exclusion que dans une volonté d’intégration. Le candidat de l’UMP valorise implicitement l’idée d’assimilation (l’immigré doit se mouler dans le cadre national, quelque douloureuse que puisse être son acculturation), au détriment de celle d’intégration ou de brassage (l’échange entre la culture de l’immigré et celle du pays d’accueil est réciproque et non plus « vertical »).
Les conceptions du candidat accréditent l’idée que la démocratie et la France doivent se penser contre quelqu’un. Choisir les exemples de comportements à bannir au sein des pratiques de certains musulmans (cloîtrer sa femme, obliger sa fille à porter le voile), c’est dès lors désigner l’Islam comme ennemi principal des valeurs républicaines, sans jugement sur les usages en question. On peut même trouver à ces déclarations un air de troublante familiarité avec la « guerre des civilisations » telle que prophétisée par l’Américain Samuel Huntington.
En promettant la création d’un Ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, Nicolas Sarkozy a franchi la ligne jaune qui sépare les discours populistes des propos lepénistes. S’il s’agit d’une maladresse, elle inquiète quant aux qualités d’homme d’Etat du candidat. Un dérapage délibéré est plus probable. Le Président de l’UMP veut incarner une droite nouvelle, mais il ne reprend que les idées de la « Nouvelle droite » des années 80.
Un Président de la République doit rassembler : Nicolas Sarkozy divise. Un Président de la République doit incarner une conception généreuse de la France : Nicolas Sarkozy représente la logique du chacun pour soi et du chacun chez soi. Un Président de la République doit aller au-devant des citoyens et leur tenir un discours de vérité : Nicolas Sarkozy flatte les passions mauvaises de l’électorat conservateur et ethnicise la question sociale. Ses déclarations contradictoires donnent le tournis : il se dit de « sang mêlé » un jour, pour mieux céder aux pires amalgames le lendemain.
La France s’est enrichie, depuis des siècles, des apports de ceux qui l’ont choisie. Il faut avoir le courage de dire au pays que la diversité de notre population est une chance, pour peu qu’on continue de lutter contre l’immigration clandestine. Face aux dérèglements climatiques et à la croissance des inégalités, nous ne pourrons, dans les années à venir, nous retrancher derrière les murs et les barbelés d’une citadelle imprenable pour préserver une identité mesquine. Les exigences de notre démographie et de notre marché du travail invitent à une approche pragmatique de la question migratoire qui doit être abordé comme une opportunité et non comme une menace.

Je pense que le débat sur l’immigration doit être conduit dans un esprit de sérénité et de responsabilité. Loin des déclarations incendiaires qui font mal à ma France, à notre France.


http://www.azizsenni.fr




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